Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Mar Fév 18, 2014 12:50 pm Sujet du message: Poésies - Émile Nelligan
Émile Nelligan est le "poète maudit" le plus connu du Canada et plus précisément au Québec. Il vit en gros au temps de Verlaine, Rimbaud, Baudelaire et des poètes "fin de siècle", qui l'influencent visiblement. D'ailleurs, on en fait souvent un "Rimbaud québécois".
Il a vécu plus tard, puisqu'il est né en 1879 et est mort en 1941. Mort à 61 ans, ça n'est pas exactement l'image du poète qui surgit comme un météore sur la scène littéraire puis meurt jeune, vous allez me dire ! Oui mais le malheureux a été interné en 1899, à vingt ans, en raison de "psychoses"... ce qui fait seulement vingt ans de vie en pleine possession de ses facultés mentales. Voilà pour la justification du "poète maudit".
En termes d'esthétique, par contre, la différence avec Rimbaud est nette : pour ce que j'en ai lu, Nelligan rappelle plus Verlaine et Baudelaire, ou par moments Jules Laforgue (ce poète moins connu dont les vers sont chargés d'ironie, d'acidité et d'autodérision et baignent volontiers dans une atmosphère maladive).
Je suis tombé il y a quelques temps sur une édition de ses poèmes par la Bibliothèque québécoise (un éditeur... québécois, comme son nom l'indique), où ils sont présentés dans l'ordre chronologique. Mais on peut aussi retrouver ses vers sur Wikisource par exemple puisqu'ils sont désormais dans le domaine public.
Voici quelques extraits pour vous donner une idée :
Dans "Amours d'élite" :
Beauté cruelle
Certe, il ne faut avoir qu’un amour en ce monde,
Un amour, rien qu’un seul, tout fantasque soit-il ;
Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil,
Voilà qu’il m’est à l’âme une entaille profonde.
Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid :
Je ne puis l’approcher qu’en des vapeurs de rêve.
Malheureux ! Plus je vais, et plus elle s’élève
Et dédaigne mon cœur pour un œil qui lui plaît.
Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange !
Si nous eussions tous deux fait de figure échange,
Comme elle m’eût aimé d’un amour sans pareil !
Et je l’eusse suivie, en vrai fou de Tolède,
Aux pays de la brume, aux landes du soleil,
Si le Ciel m’eût fait beau, et qu’il l’eût faite laide !
Dans "Les Pieds sur les chenets" :
Soir d'hiver
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai.
Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire ! où-vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés :
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai !…
Et dans le genre "mélancolie noire", un que j'aime bien, dans "Eaux-fortes funéraires" :
Le Corbillard
Par des temps de brouillard, de vent froid et de pluie,
Quand l’azur a vêtu comme un manteau de suie,
Fête des anges noirs! dans l’après-midi, tard,
Comme il est douloureux de voir un corbillard,
Traîné par des chevaux funèbres, en automne,
S’en aller cahotant au chemin monotone,
Là-bas vers quelque gris cimetière perdu,
Qui lui-même, comme un grand mort gît étendu!
L’on salue, et l’on est pensif au son des cloches
Élégiaquement dénonçant les approches
D’un après-midi tel aux rêves du trépas.
Alors nous croyons voir, ralentissant nos pas,
À travers des jardins rouillés de feuilles mortes,
Pendant que le vent tord des crêpes à nos portes,
Sortir de nos maisons, comme des cœurs en deuil,
Notre propre cadavre enclos dans le cercueil.
Dernière édition par Tybalt le Sam Mai 17, 2014 12:27 pm; édité 1 fois
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6316 Localisation: Sud
Posté le: Mar Fév 18, 2014 7:08 pm Sujet du message:
J'aime beaucoup Soir d'hiver. Le corbillard souffre de souvenirs baudelairiens. Et le premier, honnêtement... bof. _________________ Même le soleil se couche.
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Mer Fév 19, 2014 12:08 am Sujet du message:
Soir d'hiver est l'un de ses plus connus Assez dans la lignée de Verlaine, je trouve.
Pour le premier, "Beauté cruelle", il n'est pas particulièrement connu, c'est plus un aperçu de ses sonnets. Il y en a beaucoup qui contiennent de beaux passages, mais pour le moment je n'en ai pas retenu qui soit entièrement grandiose. Nelligan se débrouille mieux dans les autres formes moins corsetées et plus musicales (ou alors c'est moi qui les préfère, je ne sais pas).
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