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Posté le: Lun Juil 20, 2009 12:20 am Sujet du message: Vingt mille lieues sous les mers - Jules Verne
Vingt mille lieues sous les mers est l'un des romans fondateurs de l'anticipation et de la "hard science". Indubitablement l'une des 3-4 oeuvres les plus célèbres de son auteur, on pourrait la décrire comme un mélange de futurisme et d'exploration, émaillé de péripéties.
Pour résumer rapidement l'histoire, trois individus (un professeur français, son serviteur et un marin canadien) sont par accident amenés à se retrouver à bord d'une machine sous-marine qui n'a aucun équivalent à l'époque, le Nautilus. Le capitaine Nemo, qui commande l'appareil, ne souhaite pas qu'ils puissent révéler son secret et compte donc en faire ses "invités" permanents, ce qu'ils à quoi ils réagissent diversement. Pendant les dix mois qui vont suivre, le Nautilus va parcourir 20.000 lieues, soit 80.000 kilomètres (avant ma lecture, je m'imaginais, n'ayant aucune idée de ce à quoi correspondait cette unité de mesure périmée, que "20.000 lieues" faisait référence à la profondeur atteinte). Le capitaine Nemo va entraîner le professeur Aronnax et ses deux compagnons à travers la moitié du Pacifique, l'Océan Indien, sous le canal de Suez (qui n'était pas encore totalement terminé à l'époque où Verne écrit), à travers la Méditerrannée, jusqu'au Pôle Sud, puis de nouveau vers l'Europe.
Il n'est pas injuste envers Verne de dire que la forme, chez lui, n'est pas à la hauteur du fond. Il semble d'ailleurs l'admettre lui-même lorsqu'il regrette, par la bouche de son narrateur, de ne pas avoir la plume de Victor Hugo pour décrire le combat de l'équipage du Nautilus contre des pieuvres géantes.
Le style sobre n'a donc rien qui saisisse particulièrement (ce qui ne signifie pas qu'il soit un obstacle actif à l'impression que produisent bien des scènes). Le récit est de plus souvent alourdi par les énumérations des innombrables habitants des mers qu'Aronnax a l'occasion d'observer. On a souvent l'impression que Jules Verne a écrit son livre avec une encyclopédie ouverte sur les genoux !
Tout cela ne diminue pas pour autant la fascination qu'inspire le Nautilus et l'exploration merveilleuse du monde sous-marin. La deuxième moitié du XIXème siècle était une époque où la science était en train d'accomplir des pas de géant (tant en ce qui concerne la connaissance que les applications pratiques), mais où le monde réservait encore d'innombrables découvertes aux audacieux. 140 ans plus tard, on ressent toujours cette attirance de l'inconnu dans les pages de Jules Verne. Il faut dire que, si la surface de notre monde nous paraît souvent ne plus réserver aucune découverte à faire, il n'en va pas de même avec l'océan, qui conserve jusqu'à aujourd'hui une bonne part de ses mystères.
Il est intéressant de noter que Verne avance (déjà !) quelques préoccupations concernant la manière dont les hommes massacrent certaines espèces maritimes. L'expansion de la présence humaine sur le globe le fascine, mais il n'ignore pas ses inconvénients (d'après ce que j'ai cru comprendre, l'amour de Verne pour la science s'est teinté de crainte au fil de sa vie ; là, nous ne sommes encore qu'au début de sa carrière).
Le livre effleure parfois des questions relatives aux droits humains (on ne dit plus "droits de l'homme", comme je ne vous l'apprend pas). Il s'agit essentiellement de la colonisation, de l'oppression et de l'exploitation auxquelles se livraient les nations européennes.
A l'exception du capitaine Nemo, les personnages ont peu de relief. Poussé par sa curiosité scientifique et les questions qu'il se pose sur le capitaine Nemo, Aronnax est un bon narrateur mais rien de plus. Ses deux compagnons ont des personnalités basiques. Quant à l'équipage du Nautilus, il est franchement transparent (pour ne pas dire invisible).
Cette faiblesse des personnages n'est pas un défaut, puisqu'elle ne concentre que davantage l'intérêt sur les véritables sujets du livre : le Nautilus, l'océan et Nemo. Ce dernier est un personnage mystérieux et complexe, qui captive presque autant la curiosité que l'univers dans lequel il évolue. Verne le met en scène de façon adroite, ne livrant au lecteur que quelques morceaux du puzzle qu'est son personnage et laissant l'imagination faire le reste (il est peut-être regrettable qu'il soit plus tard revenu sur cette approche subtile et ait déballé tous les secrets du personnage dans L'Ile Mystérieuse).
Le livre est un joli pavé et on ne peut s'empêcher de penser qu'il se porterait mieux sans des passages du genre qui suit :
Citation:
Dans l'embranchement des mollusques, il cite de nombreux pétoncles pectiniformes, des spondyles pieds-d'âne qui s'entassaient les uns sur les autres, des donaces triangulaires, des hyalles tridentées, à nageoires jaunes et à coquilles transparentes, des pleurobranches orangés, des oeufs pointillés ou semés de points verdâtres, des aplysies connues aussi sous le nom de lièvres de mer, des dolabelles, des acères charnus, des ombrelles spéciales à la Méditerranée, des oreilles de mer dont la coquille produit une nacre très recherchée, des pétoncles flammulés, des anomies que les Languedociens, dit-on, préfèrent aux huîtres, des clovis si chers aux Marseillais, des praires doubles, blanches et grasses, quelques-uns de ces clams qui abondent sur les côtes de l'Amérique du Nord et dont il se fait un débit si considérable à New York, des peignes operculaires de couleurs variées, des lithodonces enfoncées dans leurs trous et dont je goûtais fort le goût poivré, des vénéricardes sillonnées dont la coquille à sommet bombé présentait des côtes saillantes, des cynthies hérissées de tubercules écarlates, des carniaires à pointe recourbées et semblables à de légères gondoles, des féroles couronnées, des atlantes à coquilles spiraliformes, des thétys grises, tachetées de blanc et recouvertes de leur mantille frangée, des éolides semblables à de petites limaces, des cavolines rampant sur le dos, des auricules et entre autres l'auricule myosotis, à coquille ovale, des scalaires fauves, des littorines, des janthures, des cinéraires, des pétricoles, des lamellaires, des cabochons, des pandores, etc.
Si vous avez lu chaque mot, vous êtes plus patient que moi ! Je n'ai pas tardé à lire en diagonales ces énumérations qui ne contribuent en rien à l'atmosphère du livre.
Vingt mille lieues sous les mers mérite indéniablement son statut de grand classique. Il a inspiré de nombreuses adaptations et, malgré les énormes progrès scientifiques qui ont suivi, il conserve une bonne part de son pouvoir d'évocation, ...mais je pense qu'on l'apprécie d'autant mieux qu'on se permet de temps à autres de sauter quelques lignes.
Dernière édition par Outremer le Sam Aoû 27, 2022 10:19 pm; édité 1 fois
Je vais quand même déplacer en Classiques ^^ _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
J'ai un blog, et maintenant, j'ai publié un roman
Le récit est de plus souvent alourdi par les énumérations des innombrables habitants des mers qu'Aronnax a l'occasion d'observer. On a souvent l'impression que Jules Verne a écrit son livre avec une encyclopédie ouverte sur les genoux !
Très vrai. Arrive un moment où ces énumérations deviennent lassantes. J'ai un peu peiné pour finir le dernier tiers du livre. Mais quelle belle aventure ! _________________ Mille et un mondes
Le livre peut logiquement se ranger dans les deux catégories, mais j'avais choisi de le mettre dans la catégorie SF pour rappeler que le genre n'est pas apparu avec les histoires de soucoupes volantes des années 50.
...d'ailleurs tous les bons livres de SF sont bizarrement soustraits du genre pour aller dans les catégories classiques. Il est ainsi plus facile de rabaisser ces "sous-genres"... _________________ En cours de lecture : Le Mythe de Sisyphe, d'Albert Camus
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Posté le: Mar Juil 21, 2009 7:57 am Sujet du message:
Turb a écrit:
...d'ailleurs tous les bons livres de SF sont bizarrement soustraits du genre pour aller dans les catégories classiques. Il est ainsi plus facile de rabaisser ces "sous-genres"...
Tout à fait d'accord. Et quand tu parles de ces livres aux gens "qui n'ont jamais lu de SF parce que c'est nul", ils reconnaissent les avoir lus (et parfois apprécié) "mais ce n'est pas vraiment de la SF"... No comment ! _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
Inscrit le: 15 Mai 2009 Messages: 23 Localisation: France
Posté le: Jeu Juil 30, 2009 11:03 pm Sujet du message: Vingt mille lieues sous les mers
Quelqu'un pourrait-il expliquer pourquoi ce livre sort chez plusieurs éditeursen même temps ? Et quelle version choisir pour un petit fils désirant le lire, prétextant qu'il est d'actualité avec les méduses qui sont en train d'envahir certaines mers.
Connaissez-vous la version Hachette dont la jaquette est celle-ci :
Merci. http://aucoeurdesmots.org
Inscrit le: 30 Juin 2004 Messages: 5671 Localisation: Physiquement : Cergy, France. Mentalement : MIA
Posté le: Ven Juil 31, 2009 11:05 am Sujet du message: Re: Vingt mille lieues sous les mers
pacged a écrit:
Quelqu'un pourrait-il expliquer pourquoi ce livre sort chez plusieurs éditeurs en même temps ?
Peut-être une question de droits/domaine public ?
Ou d'incorporation au programme scolaire ?
Citation:
Et quelle version choisir pour un petit fils désirant le lire, prétextant qu'il est d'actualité avec les méduses qui sont en train d'envahir certaines mers.
Ca dépend de l'âge du gnome ^^
Eventuellement une édition illustrée et/ou commentée (comme ça se faisait chez Folio Junior y'a une époque). _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
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Inscrit le: 28 Jan 2010 Messages: 189 Localisation: Québec
Posté le: Jeu Juin 23, 2011 2:56 am Sujet du message:
Une aventure incroyable qui mérite certainement qu’on s’y intéresse. On y découvre 1000 merveilles et l’inconnu nous est peu à peu dévoilé, laissant place à l’émerveillement chez le lecteur, émerveillement qui peut presque se comparer à celui qu’ont vécus les personnages du roman. On ne peut qu’imaginer ce qu’un tel roman devait représenter l’année où il fut publié pour la première fois ! On s’attache facilement à ce professeur et ses deux amis, tout comme c’est le cas avec le fabuleux capitaine Nemo, et au final c’est avec un certain sentiment de tristesse que j’ai refermé ce livre pour de bon à la toute fin... _________________ Lecture Évasion, l'avis d'un lecteur !
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Posté le: Mar Juil 05, 2011 9:11 pm Sujet du message:
J'ai lu ce livre quand j'étais gamin (il y a fort longtemps, hélas !) et je me rappelle avoir beaucoup aimé.
Il y a quelques années j'ai récupéré une édition ancienne (copie de l'édition Hetzel mais pas l'originale, dommage) et j'ai essayé de le relire mais je ne suis pas arrivé au bout.
Ca a vraiment beaucoup vieilli, et dans le fond et dans la forme.
Rudy _________________ Vieillir est le meilleur moyen de vivre longtemps
Posté le: Dim Juil 18, 2021 12:23 pm Sujet du message:
Un de mes souvenirs les plus vivaces de mes lectures de Jules Verne quand j'étais jeune, c'est l'étonnement ressenti lorsque je découvris que, chez cet auteur, on ne mange pas : on se sustente !...
... Tout est question de détails ! _________________ Le doute est toujours visible dans chacune de mes lampes...
Posté le: Sam Nov 13, 2021 6:10 pm Sujet du message:
Lu et détesté à cause d'une partie encyclopédir bie trop présente.
Quand on lit, on n'ose conseiller ce livre à personne :
"Là encore, dans ces eaux des Antilles, à dix mètres au-dessous de la surface des flots, par les panneaux ouverts, que de produits intéressants j’eus à signaler sur mes notes quotidiennes ! C’étaient, entre autres zoophytes, des galères connues sous le nom de physalies-pélagiques, sortes de grosses vessies oblongues, à reflets nacrés, tendant leur membrane au vent et laissant flotter leurs tentacules bleues comme des fils de soie ; charmantes méduses à l’œil, véritables orties au toucher qui distillent un liquide corrosif. C’étaient, parmi les articulés, des annélides longs d’un mètre et demi, armés d’une trompe rose et pourvus de dix-sept cents organes locomoteurs, qui serpentaient sous les eaux et jetaient en passant toutes les lueurs du spectre solaire. C’étaient, dans l’embranchement des poissons, des raies-molubars, énormes cartilagineux longs de dix pieds et pesant six cents livres, la nageoire pectorale triangulaire, le milieu du dos un peu bombé, les yeux fixés aux extrémités de la face antérieure de la tête, et qui, flottant comme une épave de navire, s’appliquaient parfois comme un opaque volet sur notre vitre. C’étaient des balistes américains pour lesquels la nature n’a broyé que du blanc et du noir, des gobies plumiers, allongés et charnus, aux nageoires jaunes, à la mâchoire proéminente, des scombres de seize décimètres, à dents courtes et aiguës, couverts de petites écailles, appartenant à l’espèce des albicores. Puis, par nuées, apparaissent des surmulets, corsetés de raies d’or de la tête à la queue, agitant leurs resplendissantes nageoires ; véritables chefs-d’œuvre de bijouterie consacrés autrefois à Diane, particulièrement recherchés des riches Romains, et dont le proverbe disait : « Ne les mange pas qui les prend ! » Enfin, des pomacanthes-dorés, ornés de bandelettes émeraude, habillés de velours et de soie, passaient devant nos yeux comme des seigneurs de Véronèse ; des spares-éperonnés se dérobaient sous leur rapide nageoire thoracine ; des clupanodons de quinze pouces s’enveloppaient de leurs lueurs phosphorescentes ; des muges battaient la mer de leur grosse queue charnue ; des corégones rouges semblaient faucher les flots avec leur pectorale tranchante, et des sélènes argentées, dignes de leur nom, se levaient sur l’horizon des eaux comme autant de lunes aux reflets blanchâtres. " _________________ Mon site web sur le Japon: http://japon.canalblog.com
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Le cinéma, encore et toujours :
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Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Dim Nov 14, 2021 12:19 am Sujet du message:
Moi, je le trouve joliment évocateur et inspirant, ce passage. Dès qu'on essaie de s'imaginer l'apparence de ces poissons, on se rend compte que c'est un bestiaire assez fantastique. Et puis les clupanodons et les corégones, c'est rigolo comme mots !
De plus, le narrateur du livre, Aronnax, est un zoologue, donc c'est normal qu'il se passionne pour ce type d'informations.
Il faut voir aussi qu'à l'époque, il n'y avait pas autant d'images documentaires que maintenant et les illustrations en couleur étaient rares ; quant au cinéma, il n'existait pas. C'était aux descriptions des écrivains de faire imaginer les pays et les formes de vie qu'on n'avait jamais vus soi-même.
Enfin, les Voyages extraordinaires de Jules Verne étaient destinés au départ à un jeune public, donc l'aspect éducatif faisait partie du projet de la collection.
Cela dit, si tu restes de marbre devant ces passages, c'est ton droit le plus strict de les sauter allègrement (c'est l'un des dix droits imprescriptibles du lecteur dans Comme un roman de Daniel Pennac, érivain et... prof de français, eh oui !). Ce serait dommage de te priver du reste de l'aventure pour si peu. Tu pourras toujours revenir plus tard sur ces passages si tu changes d'avis. _________________ Si ça vous intéresse : mon blog de lectures (dont des messages postés sur le Coin et étoffés pour l'occasion) et un site sur mes publications
Posté le: Dim Nov 14, 2021 10:21 am Sujet du message:
Coucou Tybalt, effectivement, je lis ces passages en diagonale car le reste du livre est intéressant. As-tu vu le film de Disney et, surtout, la série animée japonaise "Nadia le secret de l'eau bleue"? a _________________ Mon site web sur le Japon: http://japon.canalblog.com
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Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Dim Nov 14, 2021 3:10 pm Sujet du message:
J'avais vu le film (avec de vrais acteurs) de Disney, mais c'était dans mon enfance et ça commence à faire un sacré bout de temps. Je me souviens juste qu'il y avait de beaux décors et effets spéciaux pour l'époque, et que le Nautilus avait une forme pittoresque mais pas du tout fidèle à son apparence dans le roman (beaucoup plus hydrodynamique et moderne que dans le film, paradoxalement).
Je n'ai encore jamais regardé Nadia et le secret de l'eau bleue, mais il faut que je le fasse depuis le temps qu'on m'en dit du bien _________________ Si ça vous intéresse : mon blog de lectures (dont des messages postés sur le Coin et étoffés pour l'occasion) et un site sur mes publications
Posté le: Mer Nov 17, 2021 8:05 pm Sujet du message:
Pour le coup les longs passages encyclopédiques je m’en serais bien passé moi aussi
C’est comme dans Moby Dick : on t’attire avec une histoire d’aventure et un chapitre sur deux c’est du documentaire.
C’est instructif mais pénible, bon à l’époque il n’y avait pas les documentaires télé
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