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Posté le: Mer Nov 23, 2016 9:18 am Sujet du message: Latium - Romain Lucazeau
(2 tomes)
Tome 1 :
Depuis l'Hécatombe qui a vu la fin de la race humaine, les Intelligences n'ont plus de maître. Automates conscients contraints par le Carcan (inclus dans leur programmation de base) à servir l'Humanité, ils ont très mal vécu la disparition de leur raison de vivre. Transformés en gigantesques nefs stellaires, ils se sont lancés dans les cieux dans l'espoir de trouver des Hommes qui auraient été épargnés par le fléau, en vain. Dépités, ils se sont repliés dans une immense cité, l'Urbs. Confrontés à une invasion extraterrestre, ils ont lutté de leur mieux, le Carcan les empêchant de nuire directement à des entités biologiques, pour finalement établit un périmètre de sécurité infranchissable par les assaillants, les Limes.
Alors que certaines Intelligences ont continué à s'agiter, entre jeux de pouvoir et recherches pour s'affranchir du Carcan, Plautine a choisi de continuer inlassablement à rechercher l'Homme. Elle s'est mise en sommeil près des Limes, chargeant des systèmes automatiques de la réveiller si nécessaire. Et voilà qu'après deux millénaires, elle a repéré un minuscule signal impossible à identifier, et est sortie de sa léthargie.
Mais dans cet univers qu'elle a quitté si longtemps auparavant, à qui faire confiance ? Plautine se tourne vers son ancien allié et amant, le proconsul Othon. Exilé sur une planète lointaine, celui-ci a mis en œuvre un plan ambitieux : créer une nouvelle civilisation par manipulation génétique ; ses hommes-chiens le vénèrent comme un dieu. Mais quels sont les buts réels de cette ancienne Intelligence manipulatrice et avide de gloire ?
Latium est un space-opera ambitieux. L'aspect Science-fiction est bien présent, puisqu'on a affaire à des intelligences artificielles transformées en vaisseaux-mondes, qui traversent l'espace par des sauts instantanés et affrontent des extraterrestres venus de systèmes lointains. On note de fortes influences d'autres auteurs reconnus, bien intégrées dans l'histoire (Le Carcan rappelle forcément les Trois Lois de la Robotique d'Isaac Asimov, etc.). Le diptyque relève à la fois du post-apo, puisque l'Homme a disparu, et de l'uchronie, puisque son évolution a divergé par rapport à celle que nous connaissons : la civilisation des Intelligences, elle-même basée sur celle des Hommes avant leur disparition, est d'inspiration résolument latine (que ce soit au niveau des patronymes, de la structure politique, des vêtements, de la vie quotidienne...), car Rome a imposé une domination durable, voire grecque.
Mais Romain Lucazeau ne s'est pas arrêté là. Les noms des personnages le disent assez : l'histoire est inspirée de la pièce de théâtre Othon de Pierre Corneille. On retrouve également développés dans cette œuvre les thèmes communs dans la tragédie antique : la divinité, le destin, le libre-arbitre, la liberté...
Pour ma part, cela m'a malheureusement gênée dans ma lecture. Je ne suis pas amatrice d'essais philosophiques, de longues interrogations introspectives. De plus, les concepts de la philosophie de Leibniz ou autres écrits antiques ne me sont pas familiers, et j'ai vite trouvé désagréable un texte un peu trop pédant à mon goût. Un exemple parlant ? "Et il narrait, comme les hexamètres dactyliques d'Hésiode, une véritable théogonie." (p. 378). Je vous laisse juge.
C'est la même chose pour l'aspect historique. On découvre au fil des pages quelques pans de l'histoire romaine, mais j'avoue avoir du mal à m'intéresser par exemple aux détails de la bataille des champs catalauniques, au cours de laquelle Attila trouva (ou non, n'oublions pas qu'il s'agit d'une uchronie...) la mort.
J'ai donc eu beaucoup de mal à rentrer dans ma lecture : Pendant les deux premiers tiers du roman, je m'ennuyais ferme et comptais les pages balisant ma progression... Heureusement, le dernier tiers s'est révélé plus prenant. Les hommes-chiens et la "jeune" Plautine, plus humains, sont plus attachants que les Intelligences et leurs noèmes (des sous-entités computationnelles également conscientes) rencontrés en début d'ouvrage.
L'écriture est soignée, trop peut-être puisqu'il m'a régulièrement fallu aller chercher des explications dans un dictionnaire. Cela reste cependant fluide. Je note en négatif une confusion récurrente de noms pour Thémistoclès et Théomestor, mais quand le personnage concerné est absent le lecteur arrive de lui-même à faire la correction.
En conclusion, c'est un roman avec une intrigue tortueuse à souhait dans un décor (au sens large) magnifique, mais également une lecture exigeante qui s'adresse à des lecteurs cultivés et concentrés.
Chronique réalisée pour Les Chroniques de l'Imaginaire. _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
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Posté le: Jeu Nov 24, 2016 10:11 am Sujet du message: Re: Latium - Romain Lucazeau
Soleil* a écrit:
De plus, les concepts de la philosophie de Leibniz ou autres écrits antiques ne me sont pas familiers, et j'ai vite trouvé désagréable un texte un peu trop pédant à mon goût. Un exemple parlant ? "Et il narrait, comme les hexamètres dactyliques d'Hésiode, une véritable théogonie." (p. 378). Je vous laisse juge.
C'est la même chose pour l'aspect historique.
C'est dommage : le pitch avait l'air intéressant, mais j'ai horreur des bouquins qui me font passer pour une idiote. _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
J'ai un blog, et maintenant, j'ai publié un roman
Inscrit le: 12 Avr 2006 Messages: 5856 Localisation: deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin...
Posté le: Jeu Nov 24, 2016 11:13 am Sujet du message:
Moi je veux bien découvrir de nouvelles choses si j ai droit à quelques explications, mais là j ai dû plusieurs fois avoir recours à Wikipedia. .. _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
Inscrit le: 27 Juin 2011 Messages: 3324 Localisation: Great North
Posté le: Sam Nov 26, 2016 4:19 pm Sujet du message:
Bon, j'ai peu de temps, étant surchargé de corrections avant les conseils, alors voilà les remarques que j'ai faites au fil de ma lecture la semaine dernière :
Ce que je trouve d'extraordinaire dans le bouquin, c'est que Lucazeau a fourni un travail équivalent à celui de Vian dans L'écume des jours, mais là où celui-ci organisait un monde fantastique où tout se prenait au pied de la lettre, il a, par son monde d'I.A., permis aux philosophies rationnalistes de trouver un univers où elles étaient non seulement appropriées mais constituaient même le substrat de l'existence de ces Dei ex machina.
Bon, rejeton d'un agrégé de philo et d'une certifiée de Lettres classiques, enseignant moi-même les lettres depuis une trentaine d'années et fou de S.F. depuis une quarantaine, ce bouquin était fait pour moi.
Ca me plait beaucoup, entre autres les références philo qui me rappellent ma terminale, il y a 36 ans de cela ; à l'époque, j'avais rejoint le camp de Voltaire qui taillait des croupières au mec Leibnitz, mais là, vu qu'il s'agit d'I.A., les monades sans porte ni fenêtre paraissent nettement plus appropriées.
Quant à Corneille, pareil, j'ai toujours eu un gros faible pour L'illusion comique et il me semble bien qu'elle est sous-entendue en filigrane.
Un truc qui me surprend, c'est que Gilles Dumay a toujours clamé son mépris des adjectifs en abondance, or ici il y a pléthore.
Les notes de bas de page ne me dérangent pas, dans un tout autre genre, j'avais beaucoup apprécié La brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao de Juno Diaz dont un bon quart en était constitué avec une histoire de Saint Domingue subjective à souhait.
En revanche, je ne partage pas les comparaisons avec Banks et Simmons, je procède souvent par analogies mais là, je trouve trop peu d'éléments concordants.
Ca faisait longtemps que je n'avais pas mis autant de temps pour lire un bouquin, faut dire que je m'interromps tout le temps, plié en deux par les références truquées de Lucazeau, la maïeutique socratique mise au service d'un... accouchement, le dilemme cornélien posé à des canidés, les réminiscences platoniques appliquées aux I.A., etc.
Et puis, au début, j'étais gêné par le mélange des étymons grecs et latins, mais, à bien y regarder, c'est exactement ce qu'a fait le néoclassicisme et c'est donc parfaitement justifié.
Bref, pour le premier volume, un régal !
Tiens, à part les références à Simmons, un robot nostalgique de l'espèce humaine qui aide une espèce canidée à transcender, ça ne vous rappelle rien ?
Et une I.A. s'incarnant dans la forme de l'être aimé (une jeune fille), ça ne vous provoque pas une réminiscence platonicienne, mmmh ?
Tiens, tant qu'on y est, à un moment, il est clairement dit que, du point-de-vue des barbares, les I.A. représentent l'équivalent du cycle des Berserkers de Saberhagen ou de la Mante dans La grande rivière du ciel de Benford.
Tiens, dans les innombrables références, certes Martian emprunte au Gritche, mais le baron Harkonnen n'est pas loin, d'autant plus que, comme Léto, Titus, l'empereur dieu "renonce à son humanité pour se fondre dans les noèmes"
Et, tant qu'on y est, la relation de Plautine avec les plebeii fait irrésistiblement penser à Maria dans Metropolis, mais aussi à C'mell, héroïne des sous-êtres dans les Seigneurs de l'instrumentalité.
Et donc au final, comme je l'avais pensé dès le début, ne jamais oublier que Corneille est l'auteur de L'illusion comique... les masques tombent, les marionnettes s'effacent derrière leurs manipulateurs... Plautine, à force d'aller de mystère en mystère, transforme un parcours initiatique en récit de formation et boucle la boucle, ce fut un régal !
Cependant, peut-être pour souligner ce parcours, j'ai trouvé que Lucazeau abusait des déplacements longs et lents avec pléthore de descriptions alourdissant le récit, ça plus quelques passages sans grand intérêt (les belugas par exemple) aurait pu alléger la bête d'une bonne centaine de pages. _________________ "Tout est dans tout et réciproquement ."
Inscrit le: 27 Juin 2011 Messages: 3324 Localisation: Great North
Posté le: Sam Déc 03, 2016 11:07 pm Sujet du message:
Ah, oui, j'oubliais, pour Leibnitz, le fait que le conte philosophique s'achève avec le jardinier, ça ne vous évoque rien ? Allons, ne soyez pas candides ! _________________ "Tout est dans tout et réciproquement ."
Posté le: Sam Déc 17, 2016 9:58 pm Sujet du message:
Amusant, moi qui ne suis pas vraiment fan de SF (j'en lis peu), vous me donneriez presque envie mais pas en commençant par celui-là.
En ayant une formation d'historien, j'ai déjà eu du mal avec "Le Pendule de Foucault" (encyclopédie sous le bras) alors même si j'aime la culture classique, la philosophie antique, je risque de chercher plus longtemps les références qu'à profiter de ma lecture.
Inscrit le: 31 Oct 2012 Messages: 76 Localisation: Lyon
Posté le: Sam Juil 01, 2017 9:00 pm Sujet du message:
Merwyn a écrit:
Amusant, moi qui ne suis pas vraiment fan de SF (j'en lis peu), vous me donneriez presque envie mais pas en commençant par celui-là.
En ayant une formation d'historien, j'ai déjà eu du mal avec "Le Pendule de Foucault" (encyclopédie sous le bras) alors même si j'aime la culture classique, la philosophie antique, je risque de chercher plus longtemps les références qu'à profiter de ma lecture.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Sam Juin 08, 2019 2:18 pm Sujet du message:
Bon, je l'ai lu, sans grand plaisir. Pour un premier roman, je trouve ça impressionnant. Toutefois, ça m'a fait globalement le même effet que Corneille : froid, sinon glacial. Interviewé dans Mauvais Genres (sur France Culture) à propos de ce roman, JC Dunyach disait que tous les personnages étaient obsédés. Je suis d'accord avec ça, mais je dirais plutôt qu'ils sont tous cliniquement fous, au moins les IA, rendus fous par leur obsession de l'Homme, grand absent de l'histoire. C'est très bien, c'est très bien fait, j'ai été sensible aux références à Dune, et j'ai assez de souvenirs de mes études de lettres classiques pour ne pas avoir eu de mal à le lire, mais l'atmosphère qui règne dans ce roman m'a mise vraiment mal à l'aise. _________________ Même le soleil se couche.
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Lun Juin 10, 2019 3:00 pm Sujet du message:
Lisbeï a écrit:
Bon, je l'ai lu, sans grand plaisir. Pour un premier roman, je trouve ça impressionnant. Toutefois, ça m'a fait globalement le même effet que Corneille : froid, sinon glacial.
Corneille, froid ? Hé là ! Toute autre que Lisbeï en répondrait sur l'heure ! Tu as dû confondre avec Racine Il faut qu'on en cause sur le fil que je viens de créer sur Corneille (histoire de ne pas partir en hors-sujet ici). _________________ Si ça vous intéresse : mon blog de lectures (dont des messages postés sur le Coin et étoffés pour l'occasion) et un site sur mes publications
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Mer Juin 12, 2019 10:14 am Sujet du message:
Nos avis s'opposent clairement à propos de ces deux grands dramaturges. Je suis très sensible au rythme des vers de Racine, et pour moi Phèdre et Andromaque sont des pièces (et, d'ailleurs, des personnages) inoubliables, là où je décroche de Corneille au bout de 3 répliques. Même si je dois dire que j'avais bien aimé le personnage de Camille, dans Horace. Par ailleurs, je t'ai répondu sur le fil consacré à Corneille ;-). _________________ Même le soleil se couche.
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