Tybalt
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Posté le: Ven Juil 06, 2012 9:09 pm Sujet du message: Eros émerveillé : anthologie de la poésie érotique française |
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Une parution récente qui me faisait de l'oeil depuis un moment... et je n'ai pas été déçu.
Alors bon, il faut entendre "érotique" au sens le plus large. C'est-à-dire qu'on y trouvera aussi bien des poèmes paillards, pour ne pas dire pornos, que de petits bijoux de désir, de sensualité et d'amour. Mais quel beau voyage ! Il y a de tout, et du plus surprenant, et cela va du Moyen-Âge à nos jours.
Au Moyen Âge, on trouve par exemple le très fameux blason du Beau Tétin, mais aussi le blason du con de Claude Chappuys :
"Petit mouflard, petit con rebondi,
Petit connin pus que lévrier hardi,
Plus que lion au combat courageux,
Agile et prompt en tes folâtres jeux
Plus que le singe ou le chaton,
Connin vêtu de ton poils folâtron,"
etc.
Puis Du Bellay, Louise Labbé, Ronsard, Belleau, De Baïf, Jodelle... Jodelle ? Ah, Jodelle fait l'équivalent pour l'autre sexe :
Douce lancette à la couleur vermeille,
Dardant parfois la plus prompte vigueur,
Qui, au toucher, mets le feu dans le coeur,
Assoupissant la vie qui sommeille,"
etc.
Bien des choses en somme. Gare aux prudes, car c'est bien de cela qu'il s'agit, comme dit Théophile de Viau :
"Approche, approche, ma driade !
Ici murmureront les eaux ;
Ici les amoureux oiseaux
Chanteront une sérénade"
etc.
Mais les époques reculées sont assez peu représentées : très vite on arrive au XIXe siècle. Voici Théophile Gautier en pleine solitude, et il a la franchise d'un capitaine Fracasse :
"Je bande trop. De ma culotte
Je sors mon vit qui décalotte
Son champignon
Être à midi, seul dans sa chambre,
En tête à tête avec son membre,
C'est du guignon !"
Baudelaire se garde bien de donner dans le parler ordinaire, mais fantasme joliment. Souvenez-vous de la géante, cette géante auprès de laquelle il voudrait vivre, et...
"...Et parfois, en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s'étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d'une montagne."
Il y a vraiment de tout, des poètes aux chansonniers, il y a du Aristide Briant, des auteurs connus, moins connus, du Jean Richepin :
Tu dors ? Ce n'est pas vrai, folle, tu fais semblant.
Tu sais bien que ton corps est plus rose et plus blanc
Quand il se laisse aller à cette nonchalance
Dans le hamac de soie où ma main te balance,
Tu sais que la langueur tranquille du sommeil
Te rend la peau plus fraîche et le sang plus vermeil,
Et que tes deux tétins, tandis que tu reposes,
Sont deux bouquets de lis et deux boutons de rose ;
Tu sais que des frissons amoureux et troublants
Viennent ensoleiller la neige de tes flancs ;
Tu sais que tous ces fruits dont ta chair me régale,
Je ne puis les flairer sans avoir la fringale ;
Tu sais trop bien cela, friponne, et, doucement,
Sûre de me tenter, tu souris en dormant ;
Car tu sens mon désir dont le regard flamboie
Planer sur ton sommeil comme un oiseau de proie.
Du Germain Nouveau, "A l'église" :
"Elle était à genoux et montrait son derrière..."
Bah, la suite s'écrit toute seule.
Le superbe "Sonnet pointu" d'Edmond Haraucourt, c'est autre chose ! Triangulaire plutôt que pointu... ingénieux et, comment disent-ils déjà, performatif. Impossible à reproduire ici, il faudrait pouvoir centrer le texte.
Il y a aussi des femmes. Parmi les auteurs, veux-je dire. Peut-être pas encore assez pour compenser tous ces désirs de poètes très voire trop mâles (n'en déplaise aux clichés stupides sur les poètes efféminés), mais déjà pas mal. Voyons Marie Krysinska, "Bacchanale" :
Sous les lampadaires verts des chênes,
La farouche et rythmique extase se déchaîne.
Les torses, aussi beaux que des ciels d'été,
Souplement ondoient. Et les seins lactés -
Ainsi que d'ivres nébuleuses -
Voguent au gué des danses amoureuses.
Et le flot du vin odorant se mêle
Aux flots des chevelures qui follement ruissellent."
Pour la suite, ce sera à vous de vous joindre à la bacchanale si cela vous dit : moi, je dois laisser de la place aux autres. Avançons... à la bonne heure, il y en a pour toutes les sortes d'amour. Lucie Delarue-Mardrus :
"Si tu viens, je prendrai tes lèvres dès la porte,
Nous irons sans parler dans l'ombre et les coussins,
Je t'y ferai tomber, longue comme une morte,
Et, passionnément, je chercherai tes seins."
Oh, Rrose Sélavy ! La Rrose Sélavy de Marcel Duchamp. Que dit-elle ?
"Question d'hygiène intime :
Faut-il mettre la moelle de l'épée dans le poil de l'aimée ?"
Uh ! Quoi d'autre ?
"Ovaire toute la nuit."
Yeah ^^
Ils sont vraiment tous là, et toutes aussi ! Auriez-vous pensé qu'on croiserait Jacques Prévert ?
"SANGUINE
La fermeture éclair a glissé sur tes reins
Et tout l'orage heureux de ton corps amoureux
Au beau milieu de l'ombre
A éclaté soudain
Et ta robe en tombant sur le parquet ciré
N'a pas fait plus de bruit
Qu'une écorce d'orange tombant sur un tapis
Mais sous nos pieds
Ses petits boutons de nacre craquaient comme des pépins
Sanguine
Joli fruit
La pointe de ton sein
A tracé une nouvelle ligne de chance
Dans le creux de ma main
Sanguine
Joli fruit
Soleil de nuit"
Et je n'en suis encore qu'à la moitié du volume... Terminons avec Ariane Dreyfus :
"Les mains : en parler prendrait des heures. On les leur donne." |
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