Tybalt
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Posté le: Jeu Déc 29, 2011 6:09 pm Sujet du message: Baltiques - Thomas Tranströmer |
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Thomas Tranströmer est maintenant fameux dans le monde entier, puisqu'il a remporté le Prix Nobel de littérature cette année. Traduite en France par le Castor astral (j'aime les noms de ces petits éditeurs inconnus mais qui font un travail précieux), son oeuvre complète a été récemment rééditée, y compris en poche en Poésie Gallimard (pratique).
Je ne l'ai pas exactement découvert par son prix Nobel, mais par une amie qui fait du suédois et qui m'a rendu curieux de lire ce poète.
Et ses poèmes sont très beaux. Je n'ai pas vraiment de point de comparaison en tête. Ce sont des poèmes en vers libres ou en prose, généralement courts (une à deux pages en moyenne). Il y est beaucoup question de la nature - sans bien connaître la Suède, ces textes font imaginer toutes sortes de paysages de nature sauvage, forêts profondes, mers, fjords, lacs, mouettes, vents balayant les collines boisées... et c'est très agréable à imaginer. Ce n'est pas un poète qui emploie toutes sortes de mots rares ou de tournures de phrases compliquées. Il sait faire naître un mystère, poser une énigme ou créer des images très justes sur la réalité avec des phrases d'apparence très simples. (Et visiblement c'est pratique pour les étudiants qui commencent à apprendre le suédois, et peuvent assez vite commencer à lire dans le texte certains de ses poèmes.)
Quelques exemples seront plus parlants, comme d'habitude !
Dans le recueil 17 poèmes (1954) :
Entrée le matin
Le goéland à manteau noir, ce marin du soleil, garde le cap.
Sous lui, la mer.
Le monde sommeille telle
une pierre multicolore qui repose dans l'eau.
Journée inexpliquée. Des jours -
pareils à l'écriture des Aztèques !
La musique. Et j'étais prisonnier
de sa haute lice,
les bras levés - comme une figure
de l'art populaire.
*
La paix règne dans l'étrave bouillonnante
Un matin d'hiver, je sentis combien cette terre
avance en roulant. Un souffle d'air
venu des tréfonds crépitait
aux murs de la maison.
Baignée par le mouvement : la tente du silence.
Et le gouvernail secret d'une nuée d'oiseaux migrateurs.
Le trémolo des instruments
cachés montait
de l'ombre de l'hiver. Comme lorsque nous voici
sous le grand tilleul de l'été, avec le vrombissement
de dizaines de milliers
d'ailes d'insectes au-dessus de nous.
Dans le recueil Ciel à moitié achevé (1962)
L'arbre et le firmament
Un arbre marche sous la pluie,
passe à côté de nous dans la grisaille ruisselante.
Il a une mission. Il soutire la vie à la pluie
comme un merle à un verger.
Quand la pluie cesse, l'arbre s'arrête.
Il brille, paisible et droit dans la nuit scintillante
dans l'attente comme nous de l'instant
où les flocons de neige viendront éclore dans l'univers.
*
Le palais
Nous entrâmes. Rien qu'une salle immense
silencieuse et vide, où la surface du sol miroitait
comme la glace d'une patinoire abandonnée.
Toutes portes fermées. L'air était gris.
Des peintures aux murs. Où l'on voyait
grouiller des images sans vie : des boucliers, des plateaux
de balance, des poissons, des silhouettes de guerriers
dans un monde sourd et muet de l'autre côté.
Une sculpture était exposée dans le vide :
seul, au centre de la salle, se dressait un cheval,
que nous ne remarquâmes tout d'abord pas
tant le vide nous captivait.
Plus faiblement que les murmures d'un coquillage,
on percevait les bruits et les voix de la ville
tournoyant dans cet espace désert et
bourdonnant à la recherche du pouvoir.
Autre chose encore. Quelque chose d'obscur
vint se poser aux cinq entrées de nos
sens mais sans les franchir.
Le sable s'écoulait dans les verres du silence.
Il était temps de bouger. Nous nous approchâmes
du cheval. Il était gigantesque,
noir comme du métal. Une image du pouvoir
restée là après le départ des princes.
Le cheval nous dit : "Je suis l'Unique.
J'ai désarçonné le vide qui me chevauchait.
Voilà mes écuries. Je grandis peu à peu.
Et je mange le silence ici répandu." |
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