Tybalt
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Posté le: Mar Déc 11, 2018 2:00 pm Sujet du message: Lavinia - Ursula Le Guin |
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Quatrième de couverture de l'édition chez L'Atalante
Comme Hélène de Sparte j’ai causé une guerre. La sienne, ce fut en se laissant prendre par les hommes qui la voulaient ; la mienne, en refusant d’être donnée, d’être prise, en choisissant mon homme et mon destin. L’homme était illustre, le destin obscur : un bon équilibre.
Dans l’Énéide, Virgile ne la cite qu’une fois. Jamais il ne lui donne la parole. Prise dans les filets du poète qui n’écrira l’épopée des origines de Rome que des siècles plus tard et sans avoir le temps de l’achever avant sa mort, Lavinia transforme sa condition en destin. De ce qui sera écrit elle fait une vie de son choix. Et cela dans la douceur amère et la passion maîtrisée que suscite son improbable position : elle se veut libre mais tout est dit.
Lavinia a obtenu le Locus Award 2009, le prix de la plus prestigieuse revue américaine consacrée au domaine de l’imaginaire.
Mon avis
Je parlais de ce roman sur le fil consacré à Ursula Le Guin et je vois qu'il n'y a pas encore de sujet ouvert sur ce livre en particulier, alors je l'entame en y copiant mon avis :
Lavinia se destine d'abord aux amoureux et amoureuses de mythologie romaine. C'est à la fois une réécriture, une préquelle, une suite et un commentaire à l'épopée de Virgile l'Enéide, qui relate le voyage d'Enée, ancêtre des Romains dans leur propagande, jusqu'en Italie, dans le Latium, où ses descendants fonderont Rome.
Lavinia est l'épouse que le roi des Latins, Latinus, donne à Enée et qui devient le prétexte à la guerre entre les réfugiés troyens et les Rutules menés par Turnus, qui les rejette et convoite Lavinia.
Lavinia elle-même n'a à peu près aucune existence chez Virgile : ce n'est guère qu'un nom et elle ne parle jamais. Le Guin réussit le tour de force d'écrire une autre version des mêmes événements vus par Lavinia et d'en faire un personnage à la fois doux et très fort, un catalyseur des changements qui se produisent dans le Latium. Le roman est d'une grande profondeur par les multiples reprises et reconfigurations d'informations qu'il puise dans l'épopée antique, tout en la commentant pour en dénoncer les travers (notamment dans l'évocation des hommes et de la guerre). Virgile est présent aussi à travers des visions prémonitoires de Lavinia qui ajoutent un degré de profondeur supplémentaire à l'histoire.
Dois-je ajouter que Le Guin, qui a découvert le latin sur le tard, déploie une capacité extraordinaire à se documenter et signe là l'une des évocations les plus riches et les plus crédibles de la religiosité et de l'état d'esprit des Latins, le tout avec une plume limpide et sans ventres mous encyclopédiques ? Lavinia est pour ainsi dire un chef-d'oeuvre posé.
J'ai eu la chance de découvrir l'Enéide très jeune, par des réécritures pour la jeunesse (les Contes et récits tirés de l'Enéide), puis de la lire en traduction avant de l'étudier en VO. Je pense qu'on a une lecture complètement différente de Lavinia selon qu'on connaît déjà un peu l'histoire de l'Enéide ou non. J'ai tendance à croire qu'on en profite mieux dans le premier cas, mais je serais très curieux de lire des avis de gens qui auraient lu Lavinia sans connaître du tout l'Enéide. En tout cas, on a aussi un sujet de discussion sur l'Enéide par ici. _________________ Si ça vous intéresse : mon blog de lectures (dont des messages postés sur le Coin et étoffés pour l'occasion) et un site sur mes publications |
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