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Les Villes tentaculaires - Émile Verhaeren

 
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Tybalt



Inscrit le: 19 Mar 2007
Messages: 1488
Localisation: Paris

MessagePosté le: Sam Mai 17, 2014 12:25 pm    Sujet du message: Les Villes tentaculaires - Émile Verhaeren Répondre en citant

Un poète du XIXe siècle, vivant en pleine révolution industrielle, pouvait-il composer des poèmes sur les villes en pleine expansion, sur les usines, sur les trains, sur le téléphone, sur l'électricité ? C'est ce que fait le Belge Émile Verhaeren dans son recueil Les Villes tentaculaires, publié en 1895.

Verhaeren entretient une relation d'amour-haine avec son époque et avec ces villes qu'il célèbre et conspue à la fois dans leur métamorphose, leurs excès, leur façon de broyer les humains et de polluer la nature (oui, on s'en inquiétait déjà à l'époque). Dans ses poèmes, il utilise des mètres classiques (par exemple l'alexandrin - 12 syllabes - ou l'octosyllabe - 8 syllabes) mais en changeant de mètre en cours de poème, ce qui donne plus de souplesse au résultat.

Ce sont des poèmes virtuoses, pleins de force, qui déploient des images magnifiques et puissantes. Ils nous transportent dans un voyage ample à travers les siècles, montrant la croissance des villes au fil des dominations de royaumes et de religions dont Verhaeren ne méconnaît ni les qualités, ni l'oppression qu'ils ont exercée sur les peuples.
Les amoureux des villes devraient y trouver leur compte... et ceux qui les détestent aussi. Si vous aimez l'ambiance des romans de Jules Verne et de Zola, les tableaux de Turner pleins de fumée, les romans steampunk ou les BD des Cités obscures, ce beau petit livre d'un poète injustement méconnu peut vous intéresser.

Le recueil est dans le domaine public et peut donc se lire facilement en ligne, par exemple sur Wikisource, mais on en trouve aussi diverses éditions papier.

A titre d'exemple, le début du premier poème, "L'âme de la ville" :



Les toits semblent perdus
Et les clochers et les pignons fondus,
Par ces matins fuligineux et rouges,
Où, feux à feux, des signaux bougent.

Une courbe de viaduc énorme
Longe les quais mornes et uniformes ;
Un train s’ébranle immense et las.

Au loin, derrière un mur, là-bas,
Un steamer rauque avec un bruit de corne.

Et par les quais uniformes et mornes,
Et par les ponts et par les rues,
Se bousculent, en leurs cohues,
Sur des écrans de brumes crues,
Des ombres et des ombres.

Un air de soufre et de naphte s’exhale,
Un soleil trouble et monstrueux s’étale ;
L’esprit soudainement s’effare
Vers l’impossible et le bizarre ;
Crime ou vertu, voit-il encor
Ce qui se meut en ces décors,
Où, devant lui, sur les places, s’élève
Le dressement tout en brouillards
D’un pilier d’or ou d’un fronton blafard
Pour il ne sait quel géant rêve ?

Ô les siècles et les siècles sur cette ville,
Grande de son passé
Sans cesse ardent — et traversé,
Comme à cette heure, de fantômes !
Ô les siècles et les siècles sur elle,

Avec leur vie immense et criminelle
Battant — depuis quels temps ? —
Chaque demeure et chaque pierre
De désirs fous et de colères carnassières !
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Tybalt



Inscrit le: 19 Mar 2007
Messages: 1488
Localisation: Paris

MessagePosté le: Ven Mai 23, 2014 11:03 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Après avoir terminé le recueil, je suis enthousiaste ! C'est ma grande découverte poétique de l'année pour le moment.

Verhaeren a un sens de l'image, du drame et un aspect "nerveux" qui me rappelle Baudelaire, avec une capacité à intégrer dans sa poésie des problèmes politiques et même écologiques dont je ne trouve pas vraiment d'équivalent ailleurs dans ce que j'ai lu (peut-être dans certains recueils peu connus de Verlaine).

Il a une langue soutenue sans abuser des mots rares ou recherchés, et ses poèmes sont vifs, enlevés, avec ici et là des vers superbes.

Il décrit les villes dans tous leurs aspects : les ports, les bordels, la Bourse, les usines, le marché, les trains, les statues de héros disparus, les émeutes... Il donne à voir la misère, l'injustice sociale, le capitalisme, la pollution, les matières de l'architecture de la Révolution industrielle, le métal, le verre, les fumées noires, la pauvreté, le labeur et la sueur, mais aussi tout ce que le peuple a de superbe. Au fond, c'est comme si Zola savait écrire en vers et dans des formats courts.

Le recueil se termine sur le progrès des sciences et un espoir de progrès social qui ne sombre ni dans le pessimisme ni dans l'optimisme béat, mais trouve des notes justes et entraînantes.
Vraiment, un recueil qui vaut le détour *Smile*

D'autres bonnes feuilles histoire de vous convaincre :

Le début du poème "Le Port" :

Citation:
LE PORT

Toute la mer va vers la ville !

Son port est innombrable et sinistre de croix,
Vergues transversales barrant les grands mâts droits.

Son port est pluvieux de suie à travers brumes,
Où le soleil comme un œil rouge et colossal larmoie.

Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu’on les voie.

Son port est fourmillant et musculeux de bras
Perdus en un fouillis dédalien d’amarres.

Son port est concassé de chocs et de fracas
Et de marteaux tonnant dans l’air leurs tintamarres.

Toute la mer va vers la ville !


Quelques vers au début de "La Bourse" :

Citation:
Comme un torse de pierre et de métal debout,
Avec, en son mystère immonde,
Le cœur battant et haletant du monde,
Le monument de l’or, dans les ténèbres, bout.


Les femmes à l'usine, on est en plein dans les Temps modernes :

Citation:
Là-bas : les doigts méticuleux des métiers prestes,
À bruits menus, à petits gestes,
Tissent des draps, avec des fils qui vibrent
Légers et fins comme des fibres.
Au long d’un hall de verre et fer,
Des bandes de cuir transversales
Courent de l’un à l’autre bout des salles
Et les volants larges et violents
Tournent, pareils aux ailes dans le vent
Des moulins fous, sous les rafales.
Un jour de cour avare et ras
Frôle, par à travers les carreaux gras
Et humides d’un soupirail,
Chaque travail.
Automatiques et minutieux,
Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement
D’universel tictacquement
Qui fermente de fièvre et de folie
Et déchiquette, avec ses dents d’entêtement,
La parole humaine abolie.


Un extrait de "La Révolte" :

Citation:
C’est la fête du sang qui se déploie,
À travers la terreur, en étendards de joie :
Des gens passent rouges et ivres ;
Des gens passent sur des gens morts ;
Les soldats clairs, casqués de cuivre,
Ne sachant plus où sont les droits, où sont les torts,
Las d’obéir, chargent, mollassement,
Le peuple énorme et véhément
Qui veut enfin que sur sa tête
Luisent les ors sanglants et violents de la conquête.


Et quelques vers de son poème "La Recherche", sur les chercheurs :

Citation:
Chambres claires, tours et laboratoires,
Avec, sur leurs frises, les sphinx évocatoires
Et vers le ciel, braqués, les télescopes d’or.

Blocs de lumière éclatés en trésors,
Cristaux monumentaux et minéraux jaspés,
Glaives de soleil vierge, en des prismes trempés.
Creusets ardents, godets rouges, flammes fertiles,
Où se transmuent les poussières subtiles ;
Instruments nets et délicats,
Ainsi que des insectes,
Ressorts tendus et balances correctes,

Cônes, segments, angles, carrés, compas,
Sont là, vivant et respirant dans l’atmosphère
De lutte et de conquête autour de la matière.
(...)

Dites ! quels temps versés au gouffre des années,
Et quelle angoisse ou quel espoir des destinées,
Et quels cerveaux chargés de noble lassitude
A-t-il fallu pour faire un peu de certitude ?
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Brindargent



Inscrit le: 20 Déc 2015
Messages: 407

MessagePosté le: Dim Avr 15, 2018 1:02 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Oui, mais il convient de lire Les Campagnes hallucinées, avant, puisqu'elles sont happées par ces villes tentaculaires et puisqu'elles sont le livre 1 de la trilogie.

Les Aubes, tome 3: pas encore lu.


Un petit poème du recueil des campagnes hallucinées

CHANSON DE FOU


Le crapaud noir sur le sol blanc
Me fixe indubitablement
Avec des yeux plus grands que n'est grande sa tête;
Ce sont les yeux qu'on m'a volés
Quand mes regards s'en sont allés,
Un soir, que je tournai la tête.

Mon frère ? - il est quelqu'un qui ment,
Avec de la farine entre ses dents;
C'est lui, jambes et bras en croix,
Qui tourne au loin, là-bas,
Qui tourne au vent,
Sur ce moulin de bois.

Et celui-ci, c'est mon cousin
Qui fut curé et but si fort du vin
Que le soleil en devint rouge;
J'ai su qu'il habitait un bouge,
Avec des morts, dans ses armoires.

Car nous avons pour génitoires
Deux cailloux
Et pour monnaie un sac de poux
Nous, les trois fous,
Qui épousons, au clair de lune.
Trois folles dames sur la dune.


Emile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées
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Tybalt



Inscrit le: 19 Mar 2007
Messages: 1488
Localisation: Paris

MessagePosté le: Sam Avr 21, 2018 9:09 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Brindargent a écrit:
Oui, mais il convient de lire Les Campagnes hallucinées, avant, puisqu'elles sont happées par ces villes tentaculaires et puisqu'elles sont le livre 1 de la trilogie.

Les Aubes, tome 3: pas encore lu.


Je ne savais pas du tout que Verhaeren avait écrit une trilogie de recueils, ça me donne envie de lire les deux autres ! Merci du renseignement *Smile*

Le poème des Campagnes hallucinées que tu cites est alléchant, assez fantastique et très différent de ce qu'on trouve dans Les Villes tentaculaires. Il a un côté plus proche des poèmes en prose d'Aloysius Bertrand pour le côté presque gothique macabre à certains moments, mais en plus axé sur le monde rural (logiquement) qui rappelle les livres de Pierre Dubois sur les fées et les lutins.
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